La protestation de Dieppe

Le jeudi 4 mai à 8 h 30 au restaurant PACINI de Place Quatre-Bourgeois, Gérard VIAUD nous parlera de la protestation des Filles du Roy à Dieppe.

En 1667, arrivent en Nouvelle-France quatre-vingt-dix Filles du Roy dont trente-huit Normandes. C’est donc l’année de la Normandie! Mais pas seulement.

De ce contingent, quatorze filles d’un groupe de vingt ont quitté Paris au début du mois de juin avec leur accompagnatrice « qui les conduit ». Arrivées à Dieppe, se produit un événement imprévu avant l’embarquement : vingt « demoiselles » se plaignent devant notaire et signent un acte de protestation…

Gérard VIAUD


Résumé de la conférence par Ginette

Un épisode des « Filles du Roy », cocasse et peu connu, est celui de juin 1667 survenu à Dieppe où un certain nombre de filles à marier (d‘ailleurs le terme « Filles du Roy » ne leur sera dévolu par Marguerite BOURGEOIS qu’en 1688 !), en fait 90 Filles du Roy, traverseront en 1667 et dont un certain nombre va se trouver à Dieppe en juin de cette année-là. Cependant on ne sait pas toujours d’où les « Filles » partaient car parfois elles s’embarquaient directement de Dieppe pour la Nouvelle-France et parfois elles se rendaient jusqu’à La Rochelle d’où elles embarquaient pour l’Amérique. Mais même si ces faits sont historiques, c’est à prendre avec précaution parce qu’à cette époque, on n’avait jamais la liste des passagers au départ mais seulement la liste à l’arrivée et l’on estime qu’entre 20 et 25 % des passagers ne se rendaient pas à destination parce qu’ils périssaient, « disparaissaient » en mer.

Par la suite, lecture de la protestation du 17 juin 1667 devant Me Antoine MARÉCHAL à Dieppe où elles furent présentes… Et là on a consigné plus d’une vingtaine de signatures d’un texte qui dit, en gros, ceci : Elles sont parties de Paris aux dépens de Mlle DESNAGUETS qui leur a fourni tout ce qui leur était nécessaire ; mais une fois arrivées à Dieppe, ladite demoiselle a refusé de leur fournir les moyens de subsistance.

Tout ce travail de recherche est celui de Romain BELLEAU qui, à travers les archives, a fait un travail très minutieux, entre autres sur la vie de Jeanne MANCE au sujet de laquelle il fera une conférence très bientôt à Montréal. Voici les résultats de ses recherches :

Pendant onze ans, on a envoyé des contingents de « Filles du Roy » ; Yves LANDRY, le démographe des Filles du Roy, en a dénombré 764 au total. On peut dire que la fécondité particulière de ces femmes qui ont instruit leurs enfants, cultivé leur potager, défendu en justice leurs maris ou leurs enfants, a été une des pierres angulaires de la colonisation de la Nouvelle-France.

Parlons d’abord des convoyeuses. Ces groupes de femmes étaient accompagnés par des femmes de confiance qui servaient de chaperons et étaient garantes de leur bien-être. Voyons trois d’entre elles.

  1. Anne GAGNÉ fut la principale accompagnatrice. Elle a épousé Jean BOURDON en Nouvelle-France et s’occupera aussi des miséreux, d’où son titre de « Mère des misérables » et aussi celui de « Dévote française ». C’était la grande époque du courant des Dévots en France, mouvement qui aura des répercussions en Nouvelle-France. Mgr de LAVAL, Jeanne MANCE, MAISONNEUVE, etc. ont été influencés par les Dévots et on peut dire que Ville-Marie (Montréal) est l’accomplissement d’une œuvre mystique, comme le furent plusieurs opérations missionnaires en Extrême-Orient et en Amérique.
  2. Mlle Élizabeth ÉTIENNE dont font mention les Mémoires de l’intendant Jean TALON. Cette dernière vient de Paris et dirigea les contingents de 1670 et 1671.
  3. Catherine-Françoise DESNAGUETS (ou DESNOYERS ou DENAGUIL) (L’orthographe du nom change trois fois dans le protêt !) se marie en 1646 en France et arrive par la suite en Nouvelle-France où elle est choisie comme convoyeuse par Jean TALON lui-même parce qu’elle a des entrées à la Cour du roi et connaît la reine. C’est d’elle que les filles se plaignaient dans la protestation de Dieppe de juin 1667.

On évoque certains écrits de Jean TALON où il semble qu’elle leur aurait volé jusqu’à leurs hardes. Ces femmes venues en groupe arrivent à Dieppe selon le protêt, mais celui-ci ne nous dit pas d’où elles venaient, ni qui étaient leurs parents, etc. Cependant avec les Archives du Québec, on a pu retracer les noms grâce aux signatures et trouver quelques renseignements.

Les protestataires sont au nombre de 20, et 14 d’entre elles signeront le protêt. Gérard nous fait passer une photocopie où on peut examiner les signatures de celles-ci. Cela veut dire que six d’entre elles n’ont pas signé ou ont renoncé à leur voyage. Qui étaient-elles ? À l’époque, il s’agit de répondre à la demande de Jean TALON qui, lors du départ du régiment de Carignan, veut faire en sorte de faciliter l’établissement des soldats et des officiers qui voudront bien demeurer en Nouvelle-France. Il fallait donc trouver des « Filles de qualité » pour les officiers. Les protestataires sont désignées sous le terme de « Demoiselles » bien nourries et bien élevées ! 15 à 20 répondent à ces critères. Romain BELLEAU dit qu’une « fille de qualité » est, par sa naissance, soit fille de notables soit de marchands, ou encore de bourgeois, d’« écuyers » ou d’officiers.

On sait aussi qu’elles pouvaient venir rejoindre des parents en Nouvelle-France. C’est le cas de Marie Pasquier et de Marie-Angélique P., qui étaient cousines et avaient déjà de la famille établie en Nouvelle-France.

Pour les autres filles, on retrouve une fille de vigneron et le reste d’entre elles n’a rien de particulier. Un premier élément de leur situation familiale est que leurs biens s’élevaient entre 300 et 1000 livres, auxquels venait s’ajouter la dot de 50 livres accordée par le roi. En dollars canadiens, une livre française d’alors équivaut à 22 ou 30 $ CAD. Elles sont souvent accompagnées d’arquebusiers pour leur protection et le roi participe à tous les frais du voyage. Ce sont les bateaux du roi, où elles trouvent le nécessaire pour leur vie à bord, avec l’équipage et la protection ; de plus, une fois à destination, elles disposent de contacts pour assurer les rencontres en vue des mariages.

Selon Yves LANDRY, beaucoup d’entre elles sont orphelines, mais que d’un seul parent (soit le père, soit la mère). Et contrairement à ce qu’on serait tenté de croire, il n’y a pas de filles illégitimes parce qu’on connaît le nom de leurs parents. Un autre critère des « Demoiselles », c’est qu’elles savent signer leur nom car 14 d’entre elles le feront sur le protêt et sept d’entre elles savent signer parce que, lorsqu’on retrouve la profession des parents (notables) recoupée avec celle des conjoints qu’elles épouseront, ce sont des notables ou des hommes qui exercent une profession. Trois officiers dont le capitaine de Saint-Ours épouseront des « Demoiselles ».

Un autre élément est leur lieu d’origine et d’établissement une fois arrivées en Amérique. On en recense deux de la Champagne, les autres du Berry, de Livernaux, de la Gascogne, et la majorité de Paris. Une s’établira à Grondines, une à L’Ange-Gardien, une autre à Charlesbourg et la majorité dans la ville de Québec ; aucune à Montréal.

D’autres éléments relevés à leur sujet sont que l’origine de celles-ci est plutôt urbaine, qu’elles ont 24 ans d’âge en moyenne, qu’elles ont une espérance de vie de 58-59 ans environ, que leur fécondité est plus grande que celle des Françaises de l’époque et que, sur les 14, une seule ne s’est pas mariée et est retournée en France, deux n’ont pas eu d’enfants, et sur les 11, leur indice de fertilité est de 5,6 enfants/ femme. Parmi les « fécondes », deux ont eu 12 enfants. Critiques sur le protêt : les femmes se plaignent qu’on ne leur a pas donné les choses nécessaires à leur survie (nourriture, etc.) et qu’on a empêché leur embarquement. Est-ce un malentendu ? C’est mystérieux, cet empêchement d’embarquer et il n’y a pas de détails dans la correspondance de Jean TALON à ce sujet. De plus, on leur aurait laissé entendre qu’elles recevraient une dot de 100 écus chacune et que cela était dû à leur condition de « Filles de qualité », mais il y a embrouille à cet effet.

Recommandée par la reine et par Madame, la sœur du roi, Mlle DESNAGUETS leur aurait volé leurs hardes. Jean TALON, en octobre 1667, fait aussi état de la plainte qu’elles ont faite quant aux conditions du voyage ? Elles n’auraient pas reçu suffisamment de nourriture à bord, car il en aurait manqué dû à la longueur de celui-ci. Or ce voyage de 1667 s’est fait entre le 19 juin et le 30 juillet, donc moins de 45 jours comme en prenaient habituellement les traversées à l’époque. On servait un léger repas le matin et des biscuits au repas du soir : c’étaient les mêmes conditions pour tous.

Où est la vérité ? Elles n’ont sûrement pas inventé cette histoire et, de plus, on ne les a pas empêchées de déposer une protestation devant notaire… Jean TALON conclut : « Je ferai d’ailleurs tout ce que je pourrai pour charmer leur chagrin ». Tout cela donnera une fort mauvaise réputation à la DESNAGUETS !

P.S. Bientôt sera installée la liste des 90 noms des Filles du Roy du contingent de 1667 sur le site de la Société des Filles du Roy.

Et aussi, à paraître aux Éditions du Septentrion, les 70 biographies de toutes celles qui se sont établies sur l’île de Montréal.

Merci Gérard !


Quelques photos !

 


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