Utilisation du plan DÉMONSTRATIF

Question : Cet extrait du roman Au rendez-vous des courtisans glacés de Frédérick Durand appartient-il au fantastique ou à un autre genre?

 

À l'époque actuelle, plusieurs films et romans qualifiés de « fantastiques » voient le jour ou sont dotés d'un nouveau souffle. En effet, les oeuvres comme Les autres, Harry Potter, Le seigneur des anneaux, Le cercle et La matrice sont extrêmement populaires. Cependant, peu de gens sauraient identifier les oeuvres véritablement fantastiques dans toutes celles énumérées précédemment. Encore moins de personnes seraient capables de différencier le fantastique de l'étrange, du merveilleux, de la fantasy  et de la science-fiction. Pourtant, il s'agit bel et bien de genres littéraires distincts. Il est intéressant de se demander si un extrait du roman Au rendez-vous des courtisans glacés de Frédérick Durand appartient au fantastique, comme il en est fait mention sur la quatrième de couverture, ou à un autre genre. Il ressort d'une lecture attentive que cet extrait est conforme au fantastique. D'abord, les péripéties des personnages montrent que l'action se déroule dans un monde réel. Ensuite, il est possible de remarquer que les procédés stylistiques illustrent clairement la peur extrême des personnages à l'égard du surnaturel. Enfin, la composition des phrases indique que le doute est omniprésent dans l'extrait.

 

IP : Tout d'abord, les péripéties des personnages montrent que l'action se déroule dans un cadre réel. IS : Denis Langevin tente d'arrêter le film La mort tragique de Denis Langevin par des méthodes tout à fait conventionnelles, ce qui montre que les points de référence des personnages se situent dans le réel. P : « Langevin poussa sur le bouton "eject" du magnétoscope. Aucun son ne se fit entendre. Il appuya de nouveau sur le même bouton. Rien. Il examina l'ouverture par laquelle on insérait les cassettes. Le magnétoscope était vide. [...] Ce téléviseur diffusait-il des bandes-annonces en circuit fermé ? » (Durand, p. 322). E : Langevin exécute la même série d'actions que toute personne normale exécuterait dans la même situation.  Il ne se dit pas spontanément que le film est un phénomène surnaturel et qu'il est impossible de l'arrêter pour cette raison. IS : De plus, en sortant du club vidéo, Érik se retrouve sur une rue existante, ce qui montre qu'il évolue dans une ville réelle. Il se retrouve sur une rue connue de tous les Québécois : P : « Il se retrouva sur la rue Sainte-Catherine » (p. 331). E : Le choix de cette importante rue commerciale permet à l'auteur d'insinuer qu'Érik est encore à Montréal, une ville réelle, sans le mentionner explicitement. Faut-il rappeler que le fantastique nécessite entre autres caractéristiques que le phénomène insolite ait lieu dans un cadre que le lecteur et les personnages peuvent reconnaître.

 

IP : Il appert aussi que les procédés stylistiques illustrent clairement la peur extrême des personnages à l'égard du surnaturel. IS : L'énumération des comportements de Denis révèle  que la panique est en train de le submerger : P : « Il serrait les poings, baissait la tête et se mordait les lèvres, en proie à une agitation extrême » (p. 322). E : Les termes de l'énumération sont courts, ce qui accélère la lecture et transmet une partie de l'agitation du personnage au lecteur. Ce procédé permet au lecteur de mieux réaliser l'ampleur du sentiment de peur ressenti par le personnage. IS : De plus, les nombreuses répétitions montrent que Langevin éprouve une terreur insupportable. P : Après avoir entrevu le film prédisant sa mort, Denis est bouleversé : « Je te le dis, ça va mal... Mal... Mal... Pis ça servira plus à rien de m'en sacrer une en pleine face comme t'as fait tout à l'heure. Ça servira à rien. » (p. 323). E : Les répétitions du mot  « mal » accentuent la signification de ce terme. Les points de suspension séparant chaque répétition indiquent que Denis prend le temps de réfléchir avant de parler. Il réalise ainsi l'ampleur de son problème et chaque répétition est donc plus alarmante. La répétition de « ça servira à rien », pour sa part, incite le lecteur à rechercher pourquoi cela ne servira plus à rien de le frapper pour le ramener à la réalité. Peut-être sera-t-il réellement devenu fou et que ce ne sera plus un phénomène surnaturel qui le manipulera ? Le cerveau de Denis n'est plus capable de tolérer la peur qui l'envahit. Denis se réfugiera dans la folie.

 

IP : Enfin, il faut voir que la composition des phrases indique que le doute est omniprésent dans l'extrait. Le choix du vocabulaire montre que les personnages n'acceptent pas encore le surnaturel . IS : L'utilisation du verbe « soupirer » en dit long sur le personnage de Denis Langevin : P : « Encore un mirage ou un fantôme, soupira Denis » (p. 320). E : Denis est exaspéré. Il ne peut expliquer ce qui lui arrive que par l'action de phénomènes surnaturels. Cependant, cette explication ne le satisfait pas. Il n'arrive pas à se résigner. Est-ce un mirage ou un fantôme ? Est-ce réel ou surnaturel ? Le doute envahit son esprit. IS : Également, des phrases  de plus en plus courtes sont juxtaposées pour montrer que l'incertitude est présente jusqu'à la fin de l'extrait. P : Une phrase complète, une phrase sans verbe et une « phrase  » composée d'un seul mot se suivent dans l'ordre : « Ses mains étaient vides. Aucune cassette. Rien. » (p. 331). E : Cette succession particulière porte lentement le lecteur à quitter le livre des yeux pour plonger dans la réflexion. Le mot « Rien » est alors lourd de sous-entendus. Érik n'a plus aucune preuve de son passage dans le mystérieux club vidéo. S'est-il réellement passé quelque chose ou ne s'est-il rien passé ? Le doute plane. De plus, le nom de famille du personnage principal, Rivest, ressemble beaucoup, sur le plan de la prononciation, au mot « rêvait », ce qui peut contribuer à confondre le lecteur sur ce point.

 

 En conclusion, cet extrait du roman de Frédérick Durand est conforme au fantastique. Les péripéties des personnages montrent que l'action se déroule dans un cadre réel. Aussi faut-il comprendre que les procédés stylistiques illustrent clairement la peur extrême des personnages à l'égard du surnaturel. Enfin, la composition des phrases indique que le doute est omniprésent dans l'extrait. Au rendez-vous des courtisans glacés est un roman pour adultes. Cependant, du point de vue de l'écriture, il semble qu'il soit adressé à un public plus jeune. En effet, il est écrit de façon à ce que le lecteur n'ait pas besoin de réfléchir. Aucune déduction n'est nécessaire. Tout est explicite, comme dans le roman Arthur. La pierre prophétique de Kevin Crossley-Holland, un roman jeunesse. Peut-être que Frédérick Durand, qui écrivait des livres pour enfants auparavant, a de la difficulté à adapter son style d'écriture à un public plus vieux...

 

 


Utilisation du plan DIALECTIQUE

(Question identique à celle de l'exemple de plan démonstratif)

 


La littérature, comme l'art en général, est soumise à des règles, à des classifications qu'il semble nécessaire de transgresser ou de fusionner afin de permettre son renouvellement. Comme l'Oulipo l'a brillamment démontré, l'auteur peut se permettre de jongler avec les contraintes, de les réinventer : c'est souvent ainsi qu'il arrive à trouver son originalité. Frédérick Durand, dans Au rendez-vous des courtisans glacés, s'est justement permis de jouer avec les limites du genre fantastique, allant jusqu'à frôler le merveilleux. Toutefois, l'auteur fait preuve de retenue et il demeure évident que son roman appartient bel et bien au fantastique. D'une part, il sera possible de voir que l'incapacité que ressentent les personnages de trouver une explication rationnelle aux phénomènes surnaturels dont ils sont victimes entraîne chez eux un certain doute. D'autre part, l'indifférence que vit l'un des protagonistes par rapport à un phénomène surnaturel montre qu'il n'est aucunement déstabilisé et enfreint donc une des règles du genre. Quoi qu'il en soit, ce sont  l'incompréhension et l'étonnement vis-à-vis du phénomène surnaturel qui sont les sentiments qui sont le plus mis en valeur dans le récit.

 

IP : Il ne fait aucun doute que l'incapacité persistante que ressentent les personnages d'Érik et de Denis de trouver une explication rationnelle aux phénomènes insolites dont ils sont victimes entraîne un certain doute chez eux. IS : Les interrogations d'Érik quant aux événements étranges traduisent d'ailleurs son sentiment d'incompréhension : P : « Le téléviseur diffusait-il des bandes-annonces en circuit fermé ? [...] D'ailleurs... Où étaient passés le grand-père et l'enfant ? » (Durand, p. 322). E : Le pragmatisme avec lequel Érik tente d'expliquer ce qu'il voit montre bien qu'il cherche à se rassurer en faisant appel aux connaissances qu'il a de son propre univers. Or, ses questions restent sans réponse, preuve de son désoeuvrement à l'égard d'une situation inexplicable. IS : Cette incompréhension s'exprime par des réactions physiques qui témoignent d'une peur que vivent souvent les personnages confrontés au surnaturel dans le genre fantastique. P : En effet, devant l'inquiétude de Denis, « Érik, qui [sent] la panique de son ami le gagner, s'efforc[e] de se contrôler et de [lui] répondre, d'une voix posée [...] » (p. 320). E : Le contrôle dont tente de faire preuve Érik reflète ses efforts pour lutter contre la perte de repères et le doute qu'inspire le surnaturel. Les efforts qu'il doit manifester sont le fruit d'une crainte de l'inconnu qui l'a déjà contaminé malgré lui. En dépit de leurs tentatives visant à rationaliser la situation, les protagonistes sentent donc toujours que quelque chose leur échappe.

 

IP : Toutefois, l'indifférence que vit un peu plus tard Érik à l'égard d'un phénomène surnaturel tient davantage du merveilleux, puisque la présence d'éléments insolites ne déstabilise aucunement les personnages, comme si ce phénomène avait toujours fait partie de son environnement. IS : En fait, la contradiction entre la lassitude et le détachement d'Érik à l'égard du surnaturel  et le caractère  des plus troublants de ce dernier illustre une forme d'acceptation de la surnature : P : « Érik soupira.  -- Laisse donc faire, Denis. Tu vois bien qu'il ne vient pas de notre monde. » (p. 328). E : Érik n'essaie même pas de trouver une explication raisonnable à ce qui se passe ; il justifie le surnaturel par le surnaturel, comme si la perception sensorielle du phénomène devait suffire à se convaincre de sa véracité , voire de sa normalité. De plus, le fait qu'Érik suggère à son ami d'un ton las de cesser de résister psychologiquement au surnaturel laisse croire qu'il sait de quoi il parle, donc qu'il a lui-même arrêté de lutter, qu'il accepte cette étrange réalité. IS : Cette acceptation se traduit bientôt par le pragmatisme du personnage à l'égard de la mort de Denis, réaction qui montre qu'Érik n'est pas du tout troublé par les étranges circonstances entourant le décès de son ami, comme si elles n'avaient plus d'emprise sur ses émotions. P :

 

-- Qu'est-ce qui s'est passé ? [demande]-t-il d'une voix mécanique.

 

-- Ça lui a coûté cent unités... cent ans !

 

-- Quoi ? On paie en années de vie pour louer un film ?

 

-- Oui. [...] (p. 330).

 

E : Comme si cette réponse suffisait, Érik prend son film et sort du club vidéo sans même regarder le corps du défunt. Le regard ici posé sur le surnaturel, qui n'est pas sans rappeler celui de Gregor, protagoniste de « La métamorphose » de Kafka, vient tromper l'horizon d'attente du lecteur, qui s'attendrait dans un roman fantastique à ce que le personnage crie, pleure, tente de se raisonner, d'expliquer le phénomène. Or, les questions d'Érik ne s'attardent qu'au processus de la mort, ne relèvent ni de l'émotivité ni d'un combat psychologique contre la surnature.

 

 IP : Malgré tout, l'incompréhension et l'étonnement à l'égard du surnaturel sont les sentiments qui sont le plus mis en relief dans le roman, confirmant que malgré leur acceptation du phénomène, Érik et Denis cherchent à le combattre pour éliminer cette part non souhaitable de leur existence. IS : Il faut dire que Denis refuse l'étrange réalité qui se présente à lui, indiquant qu'il souhaite revenir à sa vie paisible d'antan : P : « Cent piastres ! Vos frais de retard, c'est quoi ? Il faut hypothéquer sa maison pour les payer ? [...] [Le commis] lui tendit un rectangle de papier. Méfiant, Denis le vérifia. Rien de spécial. [...] Il signa. Et s'effondra par terre, mort. » (p. 329). E : La réaction de Denis devant les situations anormales est celle de quelqu'un qui est étranger à ce monde. Les exclamations et les interrogations font la preuve de son étonnement et de son incompréhension, de l'émotion aussi qui s'empare de lui en raison du caractère inhabituel des circonstances. Denis ne partage donc aucunement l'indifférence de son camarade. Qui plus est, la méfiance qu'il conserve jusqu'à la fin relève de son appréhension à l'égard du surnaturel, ce qui va à l'encontre des règles du merveilleux, dans lequel les personnages n'anticipent ni ne craignent l'insolite. IS : Quant à Érik, il est à noter qu'il demeure surpris de sa propre indifférence,  ce qui ne laisse aucun doute quant à la conscience qu'il a de deux réalités distinctes, alors que les personnages du merveilleux ne réalisent jamais l'anormalité de leurs réactions : P : « Il eut l'impression que ses sentiments s'émoussaient. La mort de son ami l'attristait, mais sur un plan purement intellectuel, comme s'il n'arrivait plus à ressentir de la peine. Il s'étonnait lui-même d'envisager la situation aussi froidement » (p. 330). E : L'introspection d'Érik, à laquelle le lecteur a accès grâce au point de vue limité de la narration, permet d'observer la surprise qu'il éprouve quant à sa froideur, qu'il considère comme anormale. Les procédés de modalisation, eux, font voir qu'Érik cherche à définir son état, que le phénomène surnaturel l'affecte ici non pas en ce qu'il doute de la réalité de ce qu'il perçoit mais de ce qu'il ressent. Il est donc possible d'affirmer que les deux personnages, étant conscients et affectés par l'existence de deux réalités, réagissent bel et bien comme le font les personnages d'une oeuvre fantastique plutôt que ceux d'une oeuvre merveilleuse.

 

 En somme, les deux personnages sont incapables d'expliquer les phénomènes surnaturels et si Érik semble soudainement accepter ces phénomènes, son étonnement vis-à-vis de sa propre indifférence permet de conclure que tout compte fait, les jeunes hommes se comportent comme des personnages d'une oeuvre fantastique. En effet, contrairement aux personnages du merveilleux, pour qui le surnaturel fait partie intégrante de la « réalité », ceux du fantastique demeurent toujours méfiants et suspicieux à l'égard de ces phénomènes. Il ne faut toutefois pas croire que la littérature doive se cloisonner dans l'une ou l'autre des catégories, car ce sont les auteurs qui savent renouveler les genres qui servent de moteur à l'art.