D’abord, disons que je suis enclin à participer à la plupart des activités de mes associations : je ne manquais aucune de mes activités de servant de messe ; j’ai participé à quatre réunions des louveteaux de Saint-Dominique jusqu’à ce que ma mère m’en ait retiré (1949) ; beaucoup plus tard je n’ai manqué à aucunes activités des Voltigeurs de Québec (Milice), en six ans, ce qui m’a permis de gravir six grades en autant de temps. J’ai participé à toutes les semaines pédagogiques du Département des sciences humaines et plus tard à celles du Département de géographie. J’ai participé à toutes les réunions du Syndicat des professeurs. Pour faire une raison brève, je vais à toutes les fêtes de la Non-rentrée pour le maïs et le chef cuisinier pour la qualité de ses chiens-chauds, à tous les petits-déjeuners, et puis, je fais de même pour la cabane à sucre. N’étant plus latéralisé comme autrefois, je ne fais pas les tournois de golf. Et dire que j’ai été tireur d’élite alors que j’excellais à faire des petits trous dans un grand carton, très très très loin de moi. J’en ai fait des milliers de trous d’un coup à 300, 600, 800 et 1 000 verges. Une espèce de « golf français ». Voilà !

Maintenant que je me suis réchauffé avec cette entrée et la lecture de deux pages de Cité de verre de Paul AUSTER, je vais dire ici, dans le plus grand secret, mes motivations les moins avouables devant des personnes respectables, de me déplacer de chez moi, le plus bel endroit AU MONDE sur la rive Nord du fleuve, pour aller dans une salle perdue dans les nombreux pavillons et extensions du Cégep de Sainte-Foy.

J’y fus heureux pendant vingt-neuf ans, donc, j’y retourne et/ou j’y reviens au troisième lundi du mois pour me replonger dans le même état de plaisir. Vais-je me faire créditer des centaines de journées d’indulgences contre le purgatoire ? Là où ça commence à être intéressant, c’est lorsque j’aperçois mes ex-collègues déjà arrivéEs. D’autres qui ont réussi à se pointer dans l’ailes E et F, la passerelle, le deuxième étage, l’ascenseur qui parle, le troisième, puis la salle du conseil à l’autre bout. Mine de rien, c’est de l’exercice en titi pour un éclopé de la guerre du Transvaal en Afrique du Sud, la campagne de Farnham QC (1955), les batailles de Valcartier (1956 et 1957), et celle de Borden en Ontario (1958) ; beaucoup d’exercice pour un G.I.C. du chemin de Sainte-Foy en haut de la côte Chouinard, le premier juin 1975. J’ai donné !

À une première réunion du Club de lecture, nous étions environ 16, à une autre, nous étions 4. En général, une dizaine. Sans égard au nombre de participantEs, j’y trouve le plaisir de parler avec des gens que j’ai côtoyés pendant une trentaine d’années, mais jamais assez pour approfondir de relation. Tantôt c’était une assemblée syndicale, tantôt, l’inauguration de la bibliothèque où j’ai assisté à une expression outrée et scandalisée pour l’installation faite par un collègue du Département des langues étrangères, du genre Le livre transpercé d’une tige ronde supportée par deux briques, le tout collé dans la résine polymérisée, et tout ça dans un aquarium de 60 cm de longueur. Là, j’ai compris que je gagnais ma vie parmi six cent autres enseignants pas tous pareils. Les uns trouvaient la chose audacieuse, tandis que d’autres, qui prétendaient défendre et promouvoir l’objet auprès de leurs élèves, étaient scandalisés que l’on ait osé ainsi abîmer et détruire UN LIVRE, oui, un exemplaire magané et valant un dollar et trente-cinq. Il est arrivé autre chose de pire aux livres au cours de l’histoire.

Allons-y dans le concret. Je n’aurais jamais lu les livres suggérés par les spécialistes de la chose. Quand nous avons échangé nos commentaires sur Cartes postales de l’enfer (traduction de The Soul of all Great Designs) deNeil BISSOONDATH (professeur de création littéraire à l’Université Laval) je fus agréablement estomaqué d’entendre un collègue d’informatique (ils étaient vingt et vous ne le trouverez pas) dire tout naturellement qu’il y avait une juste dose de sexe dans l’œuvre. Voilà à quoi ça peut être utile de se réunir au E-207, F-245, D-101. Je me suis dit que je n’étais pas tout seul.

 

Quand on nous a proposé Ru de Kim THÚY, j’ai trouvé le petit chef d’œuvre à COSTCO (faisant affaires sous le beau nom anti loi nº 101, COSTCO Wholesale Inc.) C’est à la réunion du Club que je fus frappé par la diversité des opinions. Un collègue explique que dans une société bouddhiste, les conséquences d’une fellation rétribuée, faite par des adolescents pour une couple d’oncles de la famille élargie, bon, bon, bon… J’ai compris que ces gens-là n’ont pas hérité des mêmes commandements de Dieu que nous, ou du moins, pas du 6e ni du 9e. Et comme ma mère disait, très bien orientée : « Au Nord, ton père et ta mère ! » Son voisin était insulté qu’il y ait autant de demi-pages vierges dans ce livre ; gaspillage, destruction de la forêt, réchauffement de la planète. Pourquoi pas ?


Une prof de sérigraphie nous expliqua la beauté de la gravure des deux pages couvertures, visibles en entier à la condition de déplier les rabats. Elle était la seule – du moins à en parler – à avoir manipulé le livre à part de moi. Personne dans l’assemblée ne pouvait dire un mot sur la sorte de papier.

 

Moi, j’ai dis : « LeParaDIS et l’enfer s’étaient […] Je ne vais pas lire 144 pages composées par des colons, en Filosoa© ! Ce n’est pas fort ! Les deux, trois ou quatre premiers mots de chacune des pages sont composés en minuscules (bas de casse) truffés de majuscules (capitales d’imprimerie). C’est peut-être beau, joli, de l’école Bauhaus, mais moi, j’haïs, j’haïs, et J’HAÏS. En général, quand un client qui feuillette un ouvrage et ne l’aime pas, il le dépose sans l’acheter.

 

Ce défoulage thérapeutique m’a valu : « Toi Jean BEAUDOIN, avec tes affaires de lettrage, viens-en aux faits. » Quand j’ai montré ma grande satisfaction quand au choix du caractère d’œuvre, on a voulu me remettre dans le droit chemin, n’eut été la présence de mon voisin de droite qui prit ma défense en disant que pendant mon service actif, j’avais apporté une contribution constructive pour l’amélioration de la typographie au Cégep (dont la correction de la faute impardonnable de l’enseigne de la Galerie Trompe-l’oeil, pour Trompe-l’œil). Merci mon oncle avec qui je parle avec plaisir, de navigation de plaisance. Un boss, c’est un boss, mais celui-ci rit et sourit toujours. Rod***, je te serai éternellement reconnaissant.   ;=)

Parmi les participantEs, il y a les professionnelLEs de la langue, de la littérature, les spécialistes du discursif et du narratif, de la forme, de la grammaire, sauf du respect de la ligature de l’E dans l’O (ma chasse gardée). Il y a aussi ceux qui en ont produit, des livres, de la typographie à l’imprimerie jusqu’à l’expédition. Là j’en ai appris des spéciales, en ce sens que l’on n’a pas idée de tout ce qui peut se cacher sous les lettres de l’alphabet. Un autre grand avantage de la participation aux activités du Club. Apprendre à voir l’invisible.

 

Le livre d’un Péruvien qui demeure en Espagne, qui passe en France et obtient le Prix Nobel de littérature. Un juif anglophone de Montréal, mal traduit par un épais de l’Hexagone qui ne sait pas que la « St. James Street » porte à tous les coins de rues une plaque odonymique marquée « Rue Saint-Jacques », parce que nous sommes dans un coin de l’Amérique où nous essayons de vivre en français. À la suite de nombreuses plaintes auprès de l’éditeur, la traduction a été refaite en mieux.

 

Le livre d’un Algérien amoureux de la langue française. Le livre d’un gars d’Arvida avec deux jeunes Japonaises dans le paysage. Disons que ça m’a pris toutes mes petites pièces pour passer le chapitre d***. Ah, puis, je ne vais pas révéler les chutes ; je vais me retenir.

 

Le livre d’une Algérienne amoureuse de la langue française, et qui nous met en garde contre la montée de l’intégrisme islamique dans le monde. Elle demeure au Québec et s’implique de belle façon dans la vie politique.

Un ingénieur, collègue et spécialiste des manuels d’utilisation des tronçonneuses McCulloch®, Husqvarna®, Homelite®, avec chaîne Oregon®, nous a confié toute la joie qu’il a eu de nous côtoyer et de lire un roman, genre qu’il ne connaissait vraiment pas.

Je suis le fils du photographe du Concours du Mérite agricole, Omer BEAUDOIN, agronome (Institut agronomique d’Oka, 1936). Quand il visitait les agriculteurs inscrits au concours, pendant trente ans (et moi avec lui en l’été 1959 et 1960), nous avons constaté que la bibliothèque des meilleurs fermiers du Québec contenait invariablement le Catalogue Dupuis et frères, le Catalogue Eaton, l’annuaire de 12 pages de la compagnie locale de téléphone, le Bulletin des agriculteurs avec sa bande dessinée Onézime, La Terre de Chez-nous,La Terre et le Foyer (1945-1970) qui devient Terre et Foyer en 1963,les Annales de la bonne sainte Anne, les Annales de l’Oratoire de saint Joseph, les Annales de Notre-Dame-du-Cap, l’Almanach du peuple, et une collection de cinq ou six numéros du Rapport annuel du concours du Mérite agricole de la Province de Québec dont les deux cent photos et légendes étaient de mon père.

AUTOMNE 2012. – La nouvelle année scolaire reprend et le Club va organiser, tous les troisièmes lundis du mois, des séances d’échange d’impressions allant de la qualité du papier, de l’odeur de l’encre, de la lisibilité, du plaisir de la lecture numérique sur Kindle®, Sony®, Koba®, iPad®, ce que l’on y gagne (beaucoup), ce que l’on perd (peu), du prix des exemplaires, de la remise aux aînés le lundi chez un important libraire, des prix pratiqués à l’entrepôt, des emmerdements causés par le système de gestion et de protection des droits numériques (D.R.M.), du service excellent des succursales de la Bibliothèque de Québec, du fouillis inextricable de l’Astrolabe son site web, etc. Et des émotions créées par l’auteur, la qualité de sa langue, son rythme, notre amour, notre haine à son égard, alouette !

Jean BEAUDOIN


Retour  : Accueil ⇐ Club de lecture